« (…) Je crois que partout où il est allé, mon mari a laissé un souvenir impérissable.
Homme si bon, si courageux, qui a chanté les mystères de Dieu toute sa vie et doit avoir maintenant toutes les réponses à ses interrogations - comme une rivière va à la mer et se jette, heureuse, dans ses bras immenses. (…) Je travaille jour et nuit à la correction des gravures de ses œuvres (…) Je suis en train de corriger le 5e tableau : « l’Ange musicien »… lorsque l’Ange dit à St François : ’Entends la musique de l’Invisible’… Tendre humour de Dieu ! »
Yvonne Messiaen à L. Latourre 22 mai 1992
COULEUR GUALTIERI
Musique de l’Invisible…
Passion pour la nature et les surprises de ses lumières, collection de cristaux multicolores… Eblouissement légendaire devant les vitraux. Tout Messiaen parle de couleurs. Des « contrastes simultanés » (trouvés chez Delaunay), des phénomènes de synopsie - dont il souffre, mais appuie sa création sur la déviation sensorielle, jusqu’à la description chromatique détaillée des accords de ses modes musicaux - la richesse harmonique de l’œuvre de Messiaen s’élargit à l’invention de « milliers d’accords » dont il transcrit les timbres des chants d’oiseaux qu’il écoute et note dans les pays du monde entier. Les mélomanes connaissent l’auteur de ces propos : « Quand on regarde un vitrail à distance, les personnages sont trop petits pour que l’on puisse les distinguer. Mais en revanche on subit un éblouissement de couleurs. Par exemple : un vitrail où dominent les bleus et les rouges, même avec quelques taches jaunes et vertes, provoque sur l’œil la sensation d’un énorme violet. Saint Jean dans l’Apocalypse décrit ses visions célestes de la même façon. Parlant de la divinité il dit qu’un arc-en-ciel encercle le trône, l’idée de majesté étant associée à l’idée de l’éblouissement de la couleur. Son éclat est semblable au jaspe cristallin. Le jaspe cristallin est une pierre excessivement rare, qui doit non seulement revêtir les couleurs de l’arc-en-ciel, mais être translucide ». Teintes de l’arc-en-ciel ; et translucidité… Tous propos dont un peintre, Gualtieri, le « Canaletto du XXe siècle », semble se faire l’écho en commentant son œuvre : « Selon le moment de la journée la nature n’est pas seulement éclairée par la lumière blanche du soleil, mais aussi par une dominante du spectre solaire : - l’orange et le rouge vers le crépuscule ; - le rouge bleuté et le jaune à l’aurore. « Un objet vert par exemple, recevant la lumière orange d’un coucher de soleil, accusera au moins trois différentes personnalités lumineuses : - celle de l’orange solaire ; - celle de sa couleur propre ; - celle de la partie demeurée inatteinte. « Mais entre la lumière du soleil et la couleur intrinsèque de l’objet existent des fusions de lumières invisibles. Ainsi le vert de cet objet n’est-il plus le vert intrinsèque, mais une nouvelle couleur née de la fusion de ces radiations mêlées. « Capter les transparences. Percer les mille lumières d’une couleur prétendument donnée Peindre l’air Choisir et rapprocher les objets pour faire surgir de leur juxtaposition le mystère de la troisième dimension à travers la perfection de la nature. » « Recréer un monde différent, ensoleillé à ma manière. » COULEUR GUALTIERICe n’est pas le temps passé à les faire qui prouve la qualité des œuvres ; mais bien la qualité des œuvres, qui prouve ce qu’elles ont coûté de temps. Le peintre : c’est soixante, parfois quatre- vingts films de transparences successives appliquées sur la toile, qu’exige la saisie des « mille lumières » d’un simple panier d’œufs, - ensoleillé à « sa » manière… Le musicien : cinquante, parfois cent notations du chant d’un même oiseau qu’il lui faut transcrire, pour trouver finalement « son » oiseau, sa Fauvette idéale, - pour en apprivoiser le solo magistral aux lignes d’une portée musicale. Le poète, pour sa part ... Au sujet d’Adonis, compose ses couleurs dans le miroir du temps. SPECTROSCOPIE ET ACOUSTIQUE Ces artistes jumeaux nous prouvent ce qu’ils disent. Ils le prouvent en acte, par l’infini travail… Par le patient progrès… L’objet pris pour modèle est scruté, exploré, traqué dans les plus lointains harmoniques de sa résonance naturelle. Du voir comme de l’entendre la perception se fait plus aiguë, l’acte sensoriel plus conscient. Toute l’acuité - toute l’intensité de notre sensation d’être, sitôt appelée, est portée à son comble. Comment ne pas songer au tableau des rayonnements électromagnétiques, aux modélisations de la neurobiologie ? Nos sens, nos yeux modernes, perçoivent aussi loin au moins que nos esprits. Dès le siècle dernier, étudiant les cristaux, le physicien Raman sut mettre en évidence ces courbes de phonons, ces branches de vibrations tantôt optiques tantôt acoustiques saisies hors des limites de notre perception humaine. L’énergie lumineuse reçue par tel objet altère les liaisons de ses atomes, - modifie la vibration de leurs liaisons chimiques. La lumière réémise par l’objet s’en trouve à son tour modifiée. SON-COULEUR L’entreprise artistique est des plus singulières. Rien n’y tient à la mode, rien au goût littéraire ; rien à l’ingéniosité souvent compensatoire de la critique. La subjectivité n’en est que d’apparence : la synopsie appliquée, l’audition chromatique concrète, musiques de l’Invisible ou peintures de l’air, confortent leur magie à l’épreuve de la science. Chez le synesthésique (ou encore : synesthète), l’imagerie par résonance magnétique décèle par certains stimuli - acoustiques, visuels, olfactifs … - l’établissement de liaisons entre des aires cérébrales que les cerveaux « normaux » maintiennent cloisonnées. Il suffit qu’un patient se double d’un artiste : il nous rapporte alors - s’il est assez sensible - sa leçon singulière, ses accords à résonance contractée, ses phosphorescences diurnes, - ses dessous du langage -, que nous ne voyions pas mais qu’il nous fait sensibles - leurs modèles naturels altérés, refondus par effort aux exigences modales de sa propre vision… L’artiste nous révèle l’utilité de l’art : celle d’une exploration, celle d’un élargissement de l’univers des sensations humaines. Concrétions lumineuses, véritables épures dont l’objet - au-delà de tout nom - parle par vibrations. Vitraux, pierres précieuses… Diffusion de lumières par milieux transparents. Peintres, poètes œuvrant au cœur même du son… Tout un poème entier fondé sur un seul timbre, et sur la résonance de ses déclinaisons. Un poème approchant la couleur du miroir : la psyché, l’anima - ou le souffle des êtres. Un poète essayant de rythmer l’Invisible… Tentant de peindre l’air. theatreartproject.com
Autant Adonis respire la beauté, autant il inspire l’amour, autant la mort aspire à le prendre. Il n’est qu’un souffle…
Tout l’amour d’Aphrodite ne suffit pas à le détourner de la chasse où il trouve la mort. L’anémone - anemos, le vent – naît du sang qu’il répand sur la terre en mourant. |